Un article de Geneviève Desautels, CRHA et Jean-Philippe Bradette, CRHA, originalement publié sur le site CRHA
Exploiter les propriétés des jeux en éducation et en formation, c’est avant tout rechercher chez nos apprenants un engagement fort dans leur expérience d’apprentissage. Cet engagement est garanti lorsque l’apprenant se sent immergé dans l’environnement ludifié, au point ultime où son intellect, ses émotions, ses capacités cognitives et sa motivation sont entièrement consacrés à l’expérience ludique.
Mais alors, qu’est-ce que l’immersion dans un environnement ludifié d’apprentissage? Qu’entendons-nous par jeu immersif? Et surtout, comment rendre nos formations plus immersives?
Avant de définir le concept d’immersion, il nous semble important de présenter nos définitions de ludification (gamification) et de jeux sérieux (serious games). En nous appuyant sur la définition de Deterding et al. (2011), nous concevons la ludification comme l’intégration d’éléments de design propres aux jeux dans des environnements d’apprentissage. L’objectif poursuivi est de favoriser l’interactivité entre l’apprenant et le système ludifié, tout en le motivant et en l’engageant dans son expérience d’apprentissage.
La littérature scientifique comme les médias véhiculent de nombreuses définitions du jeu sérieux. Les jeux sérieux sont des systèmes intelligents d’apprentissage dont l’application s’appuie sur les jeux vidéo et qui ont pour but de favoriser l’acquisition de connaissances et le développement de compétences chez l’apprenant en exploitant sa capacité de motivation et d’engagement dans le jeu vidéo.
Notez bien dans ces deux définitions la présence du concept d’engagement, interrelié au concept d’immersion que nous allons définir ensuite.
Le terme d’immersion se retrouve davantage dans le domaine des jeux vidéo : il relie le joueur au contexte « fantaisiste » de l’environnement de jeu et réfère à la sensation d’être entouré d’une réalité tout autre focalisant toute l’attention du joueur. L’immersion peut être sensorielle (musique, graphiques, etc.) ou basée sur du challenge(juste équilibre entre le challenge et les capacités du joueur). Dépendamment du joueur, l’imagination (capacité à être absorbé par le jeu) peut favoriser l’immersion.
Motivation, engagement, émotions et immersion sont des concepts interreliés, mais néanmoins différents. La motivation est un concept de plus haut niveau faisant référence à l’envie d’apprendre et aux besoins de l’apprenant. Ce concept englobe donc à la fois l’apprenant en tant qu’individu et son expérience de jeu, alors que l’engagement et l’immersion se focalisent sur l’expérience de jeu. Nous considérons l’engagement et l’immersion comme des concepts très proches, se focalisant sur les émotions, les pensées, les sensations de plaisir et de challenge de l’apprenant dans l’environnement ludifié, ce qui rend ces concepts plus précis que celui de motivation. Illustrée par la théorie du flow, notre définition de l’immersion fait référence au ressenti d’une « expérience optimale », selon l’expression de Csikszentmihalyi (1990), pour que l’apprentissage ait lieu. L’apprenant est si engagé dans l’activité d’apprentissage qu’il en oublie le temps, la fatigue et tout ce qui l’entoure sauf l’activité elle-même. L’apprenant fonctionne alors au maximum de ses capacités cognitives et physiques. Il s’engage alors pleinement et avec plaisir dans l’activité d’apprentissage pour elle-même et non pour seulement obtenir une récompense à la fin (certificat, validation de sa participation à la formation, etc.)
Afin de provoquer cet état chez l’apprenant, il faut trouver dans l’expérience ludifiée une forme d’équilibre entre le défi proposé (challenge) et la capacité de l’apprenant à le relever. En cas de déséquilibre entre le défi et la compétence, nous passons par des états plus ou moins éloignés de l’immersion : ennui, anxiété, apathie, etc. La difficulté du jeu immersif en formation doit être adaptée au niveau de progression de l’apprenant, afin de ne pas le submerger quant aux apprentissages à effectuer, ce qui entraînerait un risque de frustration et d’anxiété. En même temps, il faut ne pas rendre les tâches trop faciles à exécuter, ce qui entraînerait un sentiment d’ennui ou de confusion. D’un côté comme de l’autre, le risque ultime est que le joueur se désengage, perde sa motivation (et donc son intérêt) envers la formation!
La recherche et la pratique révèlent plusieurs avantages à l’utilisation du jeu immersif dans le parcours d’apprentissage de l’adulte. Bien entendu, il faut être conscient du contexte d’utilisation et s’assurer que le public cible sera réceptif. Parmi les nombreux avantages, on note principalement :
La plupart des études sur l’utilisation efficace d’un jeu immersif démontrent le rôle central du formateur dans la réussite de cette activité pédagogique. Le simple fait d’ajouter un « jeu » à un parcours d’apprentissage a peu d’impact sur ce que les participants apprennent! Tout réside dans le discernement du formateur et/ou du concepteur pédagogique, qui inclut le jeu immersif au bon moment dans une démarche d’apprentissage.
D’après des expérimentations menées par Habgood (2007), un même jeu immersif s’avère bien plus efficace pour l’acquisition de connaissances si le formateur prend la peine, après la séance de jeu, de faire un compte rendu collectif avec les apprenants.
C’est donc une excellente façon de réintroduire la formation en classe « présentielle » en y incluant un volet numérique, et ce, dans la mesure où le formateur ajuste la diffusion de son contenu de formation aux réponses des apprenants, ce qui pourrait être un élément déstabilisant pour certains formateurs.
La question fondamentale demeure : quels sont les objectifs d’apprentissage que l’on souhaite atteindre avec le jeu immersif?
L’intégration du jeu doit être effectuée par le formateur. Le manque de retour en groupe et d’introduction à la matière fait en sorte que le jeu immersif est moins significatif pour les apprenants.
Si le formateur n’assume pas son rôle de médiateur correctement, le jeu immersif n’améliore pas l’apprentissage de l’apprenant. La recherche démontre que sans introduction et retour avec le formateur, le jeu immersif est moins efficace pour acquérir des connaissances (Djaouti, 2016).
Il ne faut pas oublier les contraintes matérielles et logistiques. Il est important de s’assurer que la technologie utilisée est simple pour l’apprenant, tant au niveau des consignes de jeu que de la manipulation de l’outil de jeu.
Si la notion de plaisir et de bien-être au travail fait de plus en plus sa place au sein des entreprises, le fait de « jouer » dans un environnement de travail est encore paradoxal dans l’esprit de certains dirigeants. Il est donc important de bien différencier le fait de s’amuser en jouant à un jeu et celui d’apprendre par l’expérience immersive que procure le jeu. On ne le dira jamais assez : le succès de cette méthode d’apprentissage encore novatrice réside dans la capacité du formateur à utiliser en temps réel les réponses des apprenants pour créer une formation sur mesure à chacune de ses formations. Le jeu immersif requiert le développement de nouvelles habiletés, tant pour le formateur que pour l’apprenant qui devra davantage s’investir dans la démarche d’apprentissage.